vendredi 20 mai 2011

La Dernière Classe (version adaptée)

ce conte est écrit par Alphonse Daudet, mais cette version est adaptée pour moi, Rafael Silva, aux élèves de Français niveau 1. Tous les verbes sont au présent et, même avec un vocabulaire un peu complexe, sa lecture est possible à l'aide d'un dictionnaire. Si vous voulez la version originale avec la version audio, voilà le link:


Ce matin je suis très en retard pour aller à l'école, et j'ai peur de recevoir une réprimande, parce que M. Havel va nous interroger sur la conjugaison des verbes et je ne la connais pas. Un moment l'idée me vient de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs.

Le temps est si chaud, si clair.

On entend les oiseaux siffler à côté de la forêt, où les Prussiens font souvent ses exercices. Tout me tente bien plus que les règles de conjugaison; mais j'ai la force de résister et je cours bien vite vers l'école.

Quand je passe devant la mairie, je vois qu'il y a du monde près du petit panneau aux affiches. Depuis deux ans, c'est de là que nous viennent toutes les mauvaises nouvelles: les batailles perdues, les réquisitions, les ordres de commandature; et je pense sans m'arrêter:

«Qu'est-ce qu'il y a encore?»

Alors, pendant que traverse la place en courant, le forgeron Wachter, qui est là avec son apprenti, me dit:

--«Ne te dépêche pas, petit; tu vas arriver toujours assez tôt à ton école!»

Je crois qu'il se moque de moi, et j'entre vite dans la salle de M. Hamel.

Normalement, au début de la classe, il se fait beaucoup de bruit qu'on entend jusque dans la rue -les leçons qu'on répète très haut tous ensemble pour mieux apprendre, et la grosse règle du maître qui tape sur les tables:

«Un peu de silence!»

Mais justement aujourd'hui, où j'ai besoin de ce bruit pour passer inaperçu, tout est tranquille, comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je vois mes camarades déjà rangés à leurs places, et M. Hamel, qui passe et repasse avec la terrible règle en fer sous le bras. Il faut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Et qu'est-ce que je suis rouge d'honte et peur!

Eh bien, non. M. Hamel me regarde sans colère et me dit très doucement:

«Va vite à ta place, mon petit Frantz; nous venons de commencer sans toi.»

Je monte le banc et je m'assois tout de suite sur ma chaise. Alors seulement, un peu plus calme, je remarque que notre maître est habillé avec ses beaux vêtements qu'il met seulement les jours importants. Du reste, toute la classe a quelque chose d'extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surprend le plus, c'est de voir au fond de la salle, sur les bancs qui d'habitude sont vides, des gens du village assis et silencieux comme nous. Et tous paraissent tristes...

Pendant que je m'étonne de tout ça, M. Hamel monte dans sa chaire, et de la même voix douce et grave, il nous dit:

«Mes enfants, c'est la dernière fois que je vous fais la classe. L'ordre est venu de Berlin d'enseigner seulement l'allemand dans les écoles de l'Alsace et de la Lorraine... Le nouveau maître arrive demain. Aujourd'hui c'est votre dernière leçon de français. Je vous prie d'être bien attentifs.»

Ces quelques paroles me perturbent. Ah! les misérables, voilà ce qui est affiché à la mairie.

Ma dernière leçon de français!...

Et moi qui sais à peine écrire! Je ne vais apprendre jamais! Il faut donc rester îci!... Comme je veux maintenant récuperer le temps perdu, les classes manquées à courir les champs! Mes livres - avant si ennuyeux, si lourds à porter -, ma grammaire, mon histoire me semblent à présent de vieux amis. C'est comme M. Hamel. L'idée qu'il va partir, que je ne vais le voir plus me fait oublier toutes les punitions et les coups de règle.

Pauvre homme!

C'est en l'honneur de cette dernière classe qu'il est habillé avec ses beaux vêtements du dimanche, et maintenant je comprends pourquoi les gens du village sont assis au bout de la salle. Il me semble qu'ils regrettent, eux aussi, les classes perdues. C'est aussi comme une façon de dire "merci" à notre maître pour ses quarante ans de bons services...

Subitement, au milieu de ces réflexions, j'entends appeler mon nom. C'est mon tour de réciter. Oh... Je veux bien connaître les règles des conjugaisons, pour répondre bien haut, bien clair, sans une faute; mais je me confonds aux premiers mots et je reste debout à me balancer dans mon banc. Alors, j'entends M. Hamel qui me parle:

«Je ne te réprimande pas, mon petit Frantz, tu dois être assez puni... Voilà ce que c'est. Tous les jours on se dit: Bah! j'ai bien le temps. Je vais apprendre demain. Et aprés tu vois ce qui arrive... Ah! le grand malheur de notre Alsace de toujours remettre son instruction à demain. Maintenant ces allemands sont en droit de nous dire: 'Comment! Vous simulez être Français, et vous ne savez ni parler ni écrire votre langue!... Dans tout ça, mon pauvre Frantz, ce n'est pas toi le plus coupable. Nous avons tous notre bonne part de reproches à nous faire.

«Vos parents... Moi même... C'est une faute de tous...»

Alors d'une chose à l'autre, M. Hamel se met à nous parler de la langue française - qu'elle est la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide; qu'il faut la garder entre nous et ne jamais l'oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, pendant qu'il tient sa langue il garde la clef de sa prison... Puis il prend une grammaire et nous lit notre leçon. Je deviens étonné de voir comme je comprends. Tout ce qu'il dit me semble facile, facile. J'écoute plus attentivement que jamais et M. Hamel, il lit très patiemment. On peut dire qu'avant d' aller le pauvre homme veut nous donner tout son savoir.

La leçon finie, on passe à l'écriture. Pour aujoud'hui, M. Hamel nous prépare des exemples tout neufs avec: France, Alsace, France, Alsace. Et chacun s'applique beaucoup, et quel silence! on entend seulement le bruit des stylos sur le papier! ... Sur le toit de l'école, des oiseaux chantent bas, et je me dit quand je les écoute:

«Est-ce qu'on va les obliger à chanter en allemand, eux aussi?»

De temps en temps, quand je lève les yeux de ma page, je vois M. Hamel immobile dans sa chaire. Il regarde tristement les objets tout autour. Il est desolé de quitter son école et les bruits qu'on entend sa soeur faire dans la chambre au-dessus, quand elle ferme leurs malles! car ils doivent partir demain, pour aller du pays définitivement.

Tout de même il a le courage de nous faire la classe jusqu'à la fin. Après l'écriture, nous avons la leçon d'histoire; ensuite les petits chantent tous ensemble le BA BE BI BO BU. Là-bas au fond de la salle, un vieux met ses lunettes, et, avec son abécédaire entre les mains, il épelle les lettres avec eux. On voit qu'il s'applique aussi; sa voix tremble d'émotion, et c'est si drôle de l'entendre, que nous avons tous envie de rire et de pleurer. Ah! je vais me souvenir toujours de cette dernière classe...

Subitement l'horloge de l'église sonne midi. Au même moment, les trompettes des Prussiens qui reviennent de l'exercice éclatent sous nos fenêtres... M. Hamel se lève, tout pâle, dans sa chaire. Il grand comme jamais.

«Mes amis, dit-il, mes amis, je... je... »

Mais quelque chose l'étouffe. Il ne peut pas finir sa phrase.

Alors il se tourne vers le tableau, prend son stylo, et, il écrit aussi gros qu'il peut:

«VIVE LA FRANCE!»

Après il reste là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main il nous fait signe:

«C'est fini...allez-vous-en.»


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